
Les véritables héros n’ont pas de nom
Ils sont des milliers, des dizaines de milliers. Ils se sont rejoints, à la manière des ruisseaux venant gonfler le lit des rivières. Depuis plus d’un an, ils défilaient, manifestaient leur colère avec un courage que la répression inouïe de la police ne parvenait pas à éteindre. Depuis le 5 décembre, ils ont vu venir à eux d’autres hommes et femmes ; avalés à leur tour par la colère face à un système économique qui ne les considère que comme des variables d’ajustement sur la ligne comptable des dividendes. Ils sont en grève depuis 43 jours. 43 jours d’un combat splendide pour la dignité, la justice, et l’égalité. Un combat qui rappelle à tous que l’individu n’est pas l’étalon mesure de la vie, mais que c’est bien le collectif dans lequel il s’insère qui fonde l’existence. Un gréviste n’est rien sans un autre gréviste. Leur force n’est jamais individuelle ; elle repose sur le corps constitué autour d’une cause commune. Leur détermination se renforce à mesure que les liens que nouent les hommes entre eux s’affermissent. Ils étaient atomes, ils redeviennent corps. Ils étaient anonymisés au sein d’un monde qui ne leur conférait aucune place. Ils sont en train de la conquérir. Ils sont Gilets jaunes et grévistes. Ils redeviennent peuple.
Ils ne « lâcheront rien » parce qu’un cap est franchi dans la prise de conscience de l’inanité du monde qu’on tente de leur imposer ; la rivière se mue en torrent et s’apprête à déborder de son lit pour fondre sur la dernière digue qui permet à ce système de perdurer : les forces de l’ordre. Quand celle-ci cèdera, et elle cèdera, plus rien ne pourra s’interposer entre la colère légitime d’un peuple spolié de tout, jusqu’à sa propre existence, et ses bourreaux.
En face, ils le pressentent. Enfin. Leur déconnexion psychologique avec le reste de la population est tellement grande qu’elle les a aveuglée jusqu’au dernier point où le réel peut encore être évité. Mais toutes les digues s’effondrent. Le peuple est devenu incontournable. Il est dans leur rue. Il est dans leurs magasins. Il est dans leurs restaurants, sur leurs murs, et jusque dans leurs théâtres. Macron, simple gestionnaire des intérêts de la bourgeoisie, n’a plus de répit. Ils n’en auront plus. Leur monde, celui qu’ils veulent nous imposer à tout prix, se fissure. Aussi acharné que soit le bloc bourgeois dans la sauvegarde de ses possessions, il ne peut plus détourner les yeux devant une réalité qui s’impose à lui : la révolte est partout. Elle vibre dans le cœur de ces milliers d’hommes et de femmes qui vont jusqu’à sacrifier leurs moyens de subsistance pour se faire entendre ; elle vibre dans celui des millions de Français qui n’ont toujours pas franchi le pas mais qui admirent, de moins en moins silencieusement, ceux des leurs qui ont déjà rejoint la lutte.
Ils sont des héros. L’histoire ne leur donnera aucun nom, mais elle ne pourra ignorer leurs visages. Tous ces visages rivés sur un objectif que rien ne saurait altérer. Déterminés, dignes, beaux, emplis d’humanité, ils dépeignent le profil de la société à bâtir. Une société juste, égalitaire, humble, pour laquelle l’homme ne serait pas le moyen d’un profit illimité, mais la fin autour de laquelle tout devrait être pensé et réalisé.
A nos héros.
N.