
Gilets jaunes : Insurrection ou intégration, la troisième voie…
Deux mois après l’irruption des gilets jaunes sur la scène politique française, beaucoup souhaitent faire un premier bilan. Essayons plutôt de faire une prospective. Que peut devenir ce mouvement ? Et plus précisément, que souhaite-t-on qu’il devienne ?
En premier lieu, s’il est une chose certaine c’est que ce mouvement laissera des traces. Il ne disparaitra pas de sitôt. Le mois de décembre 2018 restera comme un des mois les plus politisés de l’histoire de la cinquième République, peut-être même de l’histoire moderne de la France. Par la diversité de ses enjeux, par sa force, par sa détermination, mais également par la sociologie complexe de ses acteurs, celui-ci marquera profondément la manière d’agir ou de se positionner politiquement dans les années à venir. Personne ne pourra plus maintenant s’exprimer publiquement sans avoir ce nouvel acteur en tête.
Qu’en
sera-t-il pour le mouvement et ses membres à proprement parler ? Deux
voies, déjà ouvertes aujourd’hui, semblent possibles, et pour le système en
place, souhaitables.
La première, c’est l’insurrection.
Permanente et spontanée, semblables aux grandes heures du mouvement. L’éternel retour aux actes ! En espérant revivre les frayeurs, les émotions, et la puissance des premiers. Une volonté de « refaire » les « gilets jaunes », néanmoins cette répétition amoindri l’ampleur de l’insurrection… Ainsi se succèdent et se succèderont les marches, les manifestations, les rassemblements, de samedi en samedi. Habituant le pouvoir, habituant les forces de l’ordres, devenant de plus en plus prévisibles, et de moins en moins stimulantes.
Cette forme, malgré les déclarations, a ces leaders, son organisation, ses méthodes. Bien que le mouvement se pare d’horizontalité et d’absence de chef, beaucoup attendent les mots d’ordres de têtes d’affiches désignées par Facebook. Ce sont le nombre de contacts, des vues sur les live, de likes qui aujourd’hui donne une légitimité à des gens comme Eric Drouet, Maxime Nicolle, Hayk Shahinyan. Cette frange considérée comme la plus radicale n’est finalement que la plus visible. En effet, sa radicalité s’exprime simplement en mot d’ordre et en appel à manifester ; la vision politique y est totalement absente. Seul le Referendum d’Initiative Citoyenne semble trouver grâce à leurs yeux. Pourtant, et nous affinerons notre point de vue dans un prochain article, celui-ci n’est qu’une poudre aux yeux institutionnelle, absolument incapable de remettre en question les fondements de l’ordre social. Sans vision politique, sans projet, et sans perspective, le mouvement se disperse, s’affaiblit intellectuellement, et nous le pensons se condamne. Il se condamne en tant que force de transformation de la société ; il se condamne à devenir l’idiot utile du macronisme, qui n’hésitera pas à en faire un repoussoir affublé de l’insulte libérale « populiste » dont il a besoin. Si Louis XIV a affirmé « l’Etat c’est moi ! », la vision de Macron ne s’exprime pas différemment : « La République c’est moi ! ». Désormais, la voie de l’insurrection, si elle reste à ce niveau d’ampleur (300 000 gilets jaunes) et qu’elle ne porte pas en elle un projet de société globale, ne sera que la médaille de sauveur de la République de M. Macron.
La seconde de voie qui se dessine est celle de l’intégration.
Intégration par la respectabilité d’abord. Les manifestations deviennent de plus en plus respectables, sont déclarées en préfecture, moins violentes, avec un service d’ordre, etc. Elles sont félicitées par l’exécutif et bientôt elles ressembleront aux manifestations des syndicats, dont plus personne n’espère quoi que ce soit.
C’est une intégration du mouvement au système institutionnel en place, et nous comprenons aisément comment cette voie sera favorable au pouvoir Marconien. Dans ce cas, il semble également probable que le RIC sera au programme. Nul doute que le gouvernement ajoutera un article cosmétique à la cinquième République jupitérienne, afin de donner l’illusion de la démocratie. Nous rappelons tout de même, aux naïfs et aux cyniques tenant d’un RIC indépendant de tout changement profond, que le referendum de 2005 sur la Constitution européenne, pourtant souhaité par tout le système médiatico-politique, a été contourné. Le peuple anglais vient de subir le même sort. Qu’en sera-t-il pour les résultats des hypothétiques RIC, la réponse est dans l’énoncé… Qu’on ne nous oppose pas la stratégie qui consisterait à s’intégrer au système pour une fois s’être fait doubler, le déborder par un mouvement populaire. Dans ce cas, passons par la rue tout de suite, nous gagnerons du temps.
L’intégration ne sera pas seulement incarnée par l’adoption de quelques mesurettes issues de faux débats, fausses consultations ou encore fausses plateformes des gilets jaunes et plus largement des citoyens. La création et la participation de nouvelles organisations, estampillées « GJ », aux institutions sera alors à l’œuvre. Des listes seront déclarées pour les élections, des partis seront créés, des associations deviendront des relais du terrain et des interlocuteurs privilégiés de la République. On voit déjà fleurir sur les plateaux de télévision et dans la presse de nouvelles têtes. Encore une façon pour le pouvoir de faire évoluer les choses à peu de frais. Jaurès nous a enseigné que lorsqu’on ne peut changer les choses on change les mots, le système médiatique s’en sort lui en changeant simplement les intervenants.
A ce niveau, la naïveté n’est plus permise, qui pourrait croire que le système est un nouveau Troie capable d’être envahi et attaqué de l’intérieur. Ce ne seront jamais les acteurs intégrés au système qui le feront changer ; c’est le système qui définitivement absorbera, ingurgitera et transformera ses acteurs. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que les nouvelles têtes sont apparues avant les nouvelles organisations, preuve du peu de sincérité dont sont remplis ces derniers quand ils affirment être désintéressés et promoteurs de l’horizontalité…
Ce n’est pas d’horizontalité dont le peuple a besoin, mais d’un horizon.
Un horizon ou ce qu’il produit lui revient d’abord et pleinement ; un horizon où la République ne serait plus simplement une mascarade de « Liberté, égalité, fraternité », mais une réalité concrète et palpable au travail, dans la rue, dans le quartier, et dans les institutions. Un horizon où l’intérêt collectif primerait sur les intérêts particuliers. Un horizon où l’angoisse et la précarité du quotidien, seraient définitivement remplacés par la sérénité et le bonheur du lendemain.
Cet ordre nouveau est possible. Les tremblements et les hésitations du pouvoir en décembre 2018 ont montrés qu’il ne se sentait pas à l’abri. Néanmoins, cela passera par une autre voie. La voie d’une union de ses acteurs pour un mot d’ordre concret et simple : « Macron démission ! » Voilà ce qui a été scandé par tous et partout, sans concertation. Revenons à cet essentiel, et ne lâchons rien avant de l’avoir obtenu. Il est l’expression de cette troisième voie.
La voie pour une volonté farouche de vivre dans un monde nouveau débarrassé des injustices. Cette voie a un nom, éternel et glorieux, cette voie a un drapeau et un hymne, connus dans le monde entier, cette voie chaque français l’a dans chaque recoin de sa conscience, malgré l’oppresseur qui tente de lui faire oublier…
Cette voie c’est la révolution ! Son drapeau est tricolore, son hymne est la marseillaise !
1789, 1792, 1848,1871, 1936, 1968 sont les braises encore chaudes de notre glorieux passé.
Assumons-le avec fierté face à ceux qui nous l’ont usurpé, en nous usurpant la République. Brandissons-le avec honneur quand certains voudront nous faire rougir de notre idéalisme. Clamons-le avec force quand d’autres souhaiteront nous affaiblir en le ramenant au passé.
Nous sommes le peuple, nous sommes la République, dépassant l’insurrection, et méprisant l’intégration pour se muer en un changement radical, définitif et historique des rapports de forces.
Le maitre à penser de la réaction et de la bourgeoisie, Maurice Barrès disait : « la première condition de la paix sociale est que les pauvres aient le sentiment de leur impuissance ».
Puisse faire qu’en cet automne 2018, les pauvres et tant d’autres, aient enfin perçu le sentiment de leur puissance !