
Le “racisme anti-blanc”, paravent de la domination bourgeoise
Tendez les mouchoirs, versez quelques larmes, apitoyez-vous sur le nouveau terrain victimaire révélé à nos yeux ébahis : le racisme anti-blanc. Alors que nous avions traversé l’existence, nous les petits blancs français, à entendre qu’il n’existait de racisme qu’envers nos frères, arabes et noirs, voici qu’aujourd’hui, des hommes emplis d’un courage extraordinaire se dressent pour dire : non, les blancs souffrent aussi du racisme !
Davantage, ces pourfendeurs d’injustices clament qu’il ne saurait y avoir de racisme pour les noirs et les arabes, sans y adjoindre les blancs. Sur ce grand chevalet français, les couleurs se mélangent, et l’on n’en vient à ne percevoir plus qu’une bouillie informe. Black, blanc, beur, un slogan sentant bon SOS RACISME au temps de l’union sacrée des hommes et de leur diversité. La gauche de l’époque voyait dans ces minorités ethniques un nouveau terrain électorale. La droite lui répond aujourd’hui en levant le drapeau blanc, non pas en guise de paix, mais bien en guise d’une nouvelle guerre à mener… Celle des identités, pour ne pas dire celle des civilisations. Alors que nous avions crus naïvement que la République ne reconnaissait pas des communautés mais des citoyens, unis entre eux par des droits politiques égaux et un commun idéal républicain, voici que notre socle de valeurs et de croyances vole en éclats pour révéler les divisions qui mineraient notre pays. Divisions identitaires, divisions ethniques.
Les noirs et les arabes, sympathiques populations exotiques des années 90 seraient devenues aujourd’hui des hordes revanchardes prêtes à sabrer du blanc. Blanc bourreau d’autrefois, devenu à son tour victime… en son pays ! Finkielkraut, Zemmour et Laurent de Béchade doivent en faire des insomnies.
Voici pour la vulgate médiatique. Abandonnons l’ironie pour analyser ce dont témoigne cette polémique médiatique venue enflammer Twitter et contaminer le débat politique des rédactions.
En 1945, après deux siècles de colonisation et de traite effrénée, la bourgeoisie française convoque à nouveau ces populations coloniales pour reconstruire la France. Des plantations aux tranchées, cette main d’œuvre bon marché est à nouveau brinqueballée, cette fois-ci des sonacotras misérables des années 60 aux HLM en décrépitude des années 70-80. Enfermant ces populations précarisées dans des logements devenus miteux et désertés par la classe moyenne, l’Etat se décharge de sa mission d’intégration, recréant des ghettos ethniques en périphérie des villes. Abandonnées, méprisées, livrées à elles-mêmes, ces hommes et ces femmes s’organisent au sein d’associations multiples, de centres socio-culturels pour faciliter leur intégration et celles de ceux qui continuent d’arriver. La violence s’installe progressivement au sein de la seconde génération baladée entre le lumpen prolétariat de papa et « Touche pas mon pote » d’SOS Racisme. Face à une violence économique et sociale insupportable sur fond de relégation raciale, le seul horizon qui se dessine pour cette jeunesse paraît être la matraque ou la prison. Le 15 octobre 1983, dans l’indifférence générale, démarre à Marseille la première marche pour l’égalité et contre le racisme. Elle fait suite au meurtre à caractère raciste d’un enfant de 13 ans.
Spontanée, populaire, sincère, cette marche s’inspire des mouvements non violents portés par Ghandi ou Martin Luther King. Elle exprime une souffrance sociale ; elle met en exergue toute l’ignominie du système capitaliste qui a utilisé ces populations pour leur force de travail avant de les jeter une fois la contraction de l’économie opérée après le premier choc pétrolier de 1973. La seconde marche préfigure quant à elle la récupération cynique de ces revendications par les médias et les partis politiques. Dans la foulée, la création d’SOS Racisme annonce la neutralisation de la colère sociale des banlieues et leur récupération politique par des acteurs absents de la première marche. Aux leaders maghrébins des premiers temps sont préférés des professionnels blancs de la politique et de ses arcanes, où se retrouvent Julien Dray, Bernard Henri Levy, Alain Finkielkraut.
Vent debout contre l’ignoble « Dupont », symbole cinématographique d’un racisme populaire qui gangrénerait le peuple français, les thuriféraires de l’égalité multiplient les plateaux télé, les interviews, les ouvrages, les campagnes de presse. Rien n’est assez bon pour rappeler aux descendants d’immigrés combien la France est un pays détestable et son peuple un ramassis de fachos. Et pourtant, l’histoire ramène immanquablement la question du racisme à la bourgeoisie française. Celle qui se frottait les mains aux XVIII des profits réalisés par ses négriers ; celle qui avec Ferry clamait le devoir des races supérieures envers les races inférieures ; celle qui encore avec Francis Bouygues se vantait en 1969 d’employer 80 % d’étrangers dans ses entreprises, ces « gens très courageux » mais malheureusement « pas stables » parce que désireux de rentrer chez eux.
Les classes populaires, en réalité, se désintéressent largement de la question. Non pas par dédain raciste, mais pour une raison économique et sociale. Face à la précarité grandissante produite par le néolibéralisme, les classes populaires se replient sur elles-mêmes. Alors que le risque de chômage menace, la question identitaire n’a aucun sens. L’ouvrier blanc au chômage ne sentant objectivement pas plus proche de l’actionnariat blanc l’ayant licencié que de l’ouvrier maghrébin de Villeurbanne lui-aussi au chômage. A l’inverse, tout dans leur situation économique devrait les rapprocher et leur permettre de mener un combat commun contre leur même ennemi : la bourgeoisie.
Celle-ci, toujours habile à masquer sa domination et ses ravages, répond aux classes populaires blanches en voie de déclassement que le nouveau prolétariat en souffrance c’est « l’immigré de banlieue ». Plutôt que de réclamer, il faut s’estimer heureux de posséder ce que le voisin noir ou arabe ne possède pas.
Ce détournement pervers des revendications sociales tient jusqu’aux années 2000 où les tensions produites par le capitalisme commencent à se faire de plus en plus visibles et générales. La bourgeoisie comprend alors qu’il faut opérer un revirement idéologique complet, au risque que la misère ayant égalisée les conditions, entre blancs et descendants d’immigrés, servent de liant entre les misérables. L’arabe et le noir, présentés pendant vingt ans comme étendards pour dénoncer le racisme des classes populaires deviennent subitement les nouveaux boucs émissaires. Barbares à nettoyer au Karcher, parasites siphonnant les aides sociales, islamistes frénétiques prêts à commettre des attentats. Afin d’éviter toute verticalisation des luttes au sein desquelles quartiers populaires, gilets jaunes, fonctionnaires, ouvriers, paysans, etc., seraient unis dans un même but : briser la violence économique et sociale produite par les classes dominantes, la bourgeoisie multiplie les contre-feux. Son meilleur outil reste la manipulation de la question identitaire afin d’interdire toute union des victimes réelles de son emprise et d’enfermer les revendications dans une horizontalisation des affrontements. Les noirs contre les blancs plutôt que les classes populaires contre les classes dominantes.
Alors, dans ce contexte, le racisme anti-blanc apparaît bien comme une énième tentative de la bourgeoisie pour fractionner le corps social français et favoriser les conditions de naissance d’une guerre civile désastreuse. Si les bourgeois peuvent se diviser sur les plateaux de télévision selon leur sensibilité politique de surface, racisme versus anti-racisme, nous affirmons qu’ils sauront toujours choisir leurs intérêts de classe et faire front le jour où ceux-ci seront menacés. Entre la guerre civile ou la concorde nationale, entre le fascisme ou le Front populaire, la bourgeoisie choisira toujours le camp du pire pour sauvegarder ses intérêts matériels et sa position de domination. Au racisme anti-blanc nous préférons répondre par un appel à l’union de tous les hommes et de toutes les femmes dépossédés par le système capitaliste selon la formule célèbre et plus que jamais nécessaire : « Prolétaires de tous pays, unissez-vous ».
N.